Les Frères musulmans entre apaisement et confrontation

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Dans l’avant-propos de son oeuvre L’Histoire, Alphonse de Lamartine dit et je cite : « L’Histoire est ce spectacle des choses humaines auquel il nous est donné d’assister … tantôt avec admiration … tantôt avec horreur … mais toujours avec profit pour notre propre amélioration … sans l’Histoire point de moralisation, de perfectionnement et de progrès de civilisation pour un peuple ». Dans quelle mesure cette sentence peut-elle être appliquée aux Frères musulmans, qui est une organisation quasi secrète ? Haytham Abou-Zeid, qui a récemment démissionné du haut comité du parti d’Al-Wassat (issu des Frères musulmans) et qui a passé 18 ans au sein de la confrérie, pense que les spécialistes les plus chevronnés de la mouvance islamiste auront toujours une lacune en parlant de celle-ci car ils n’en ont jamais fait partie. D’après lui et je cite : « Les Frères ont mille visages. Ne vous fiez jamais à celui qui prétend avoir démissionné de la confrérie … sauf s’il passe des années à combattre ses idées et son emprise — sur les individus — tout en condamnant ses pratiques … s’il ne le fait pas sachez que c’est un imposteur et un menteur ou bien qu’il a simplement claqué la porte pour des raisons personnelles ou administratives tout en préservant les idéaux de la confrérie dans son coeur et son esprit … ».

Commençons par la démocratie. La confrérie s’est-elle réellement engagée sur la voie démocratique comme elle prétend ou bien il s’agit, un peu comme l’Etat au cours des 6 dernières décennies, uniquement des apparences trompeuses ? Evoquant le mécanisme électoral interne de la confrérie, Ossama Al-Ghezaoui, ancien membre de la confrérie, nous dit que des ordres ont été donnés aux cadres de la confrérie, pour choisir des candidats spécifiques aux élections du Conseil législatif, appelé le conseil de la Choura. Dr Al-Sayed Abdel-Sattar, lui-même ancien membre de ce Conseil, nous dit dans son livre intitulé Mon Expérience avec les Frères, publié en 2009, que la ligne dure et conservatrice des Frères, qu’il appelle le clan secret, a décidé que les élections seraient la voie légale à travers laquelle elle peut contrôler la confrérie ! Il ajoute et je cite : « Dans le secret le plus absolu et pendant 3 ans ils ont réussi à changer la structure du vote de la région du Caire ainsi qu’ailleurs d’ailleurs, ils ont changé les circonscriptions géographiques, déplacé les frontières — électorales — d’un endroit à un autre, déplacé leurs hommes d’un gouvernorat à un autre, d’une ville à une autre … et soudain le coup d’envoi du processus électoral est lancé comme s’il s’agissait d’un ordre policier ». Dans son livre publié en 2012 intitulé Frères réformistes, Haytham Abou-Khalil, ex-Frère lui aussi, nous dit que les élections avaient pour but de déloger certains pour les remplacer par d’autres plus soumis et plus fidèles à l’organisation. L’avocat Tharwat Al-Kherbawi qui a jadis longuement plaidé la cause des Frères devant les tribunaux d’exception — militaires — et autres nous dit dans son livre Le Secret du temple, publié en 2012 que l’organisation « ne connaît pas la différence d’opinion ».

En ce qui concerne le recours à la force et à la terreur par les Frères, l’Organisation égyptienne des droits de l’homme affirme dans un compte rendu publié courant ce mois que les sit-in de Rabea et d’Al-Nahda organisés et gérés par les Frères musulmans étaient loin d’être pacifiques. Les Frères musulmans ont-ils vraiment renoncé à la violence ? Ali Ashmawi, ancien membre de l’organisme secret des Frères (condamné à mort en 1965), nous rappelle que les Frères étaient impliqués dans l’assassinat de l’imam Yéhia au Yémen en 1948. Ils se sont également engagés dans la guerre en Tchétchénie et en Afghanistan en envoyant des volontaires. Abdallah Azzam, membre de l’Organisation internationale des Frères fondée vers la fin des années 1970, n’était-il pas le parrain et le fondateur d’Al-Qaëda ?

Au niveau de leurs écrits, le seul changement de taille opéré par la confrérie a été fait au profit des conservateurs salafistes pour mieux les intégrer au sein du groupe à partir des années 1970. Par contre, les idées ultra-conservatrices de Sayed Qotb comme la gouvernance du divin et non de l’humain, et l’apostasie des sociétés ignorantes (musulmanes incluses) qui sont en grande partie à la base de la violence commise depuis des décennies par les différentes mouvances islamistes, font toujours partie de l’éducation imposée aux nouveaux recrues.

Malgré ses nombreux adeptes, l’Etat égyptien a toujours écarté la confrérie et l’a reléguée à un statut d’organisation clandestine. Et le peuple égyptien s’est rallié à cette vision avec le soulèvement populaire du 30 juin 2013 suite à la politique de la terre brûlée suivie par les cadres de la confrérie. Réalité à laquelle la confrérie devra se plier tôt ou tard, encore il faut qu’elle soit consciente qu’elle ne pourra pas se forger une place dans la nouvelle Egypte.

Mounir Hamza 

Article Posted in Al Ahram Hebdo 

 

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